Le clan Meigui : Oiseau Vermillon (livre 4)

À l’origine, les Dieux créèrent un monde à part de celui que nous connaissons aujourd’hui. C’était un monde où créatures de légendes et hommes vivaient ensemble. Cependant, malgré tous les soins portés à ce monde fantastique, les hommes étaient constamment en guerre afin d’étendre leurs territoires. Puis, les dieux, furieux de les voir si avides placèrent démons et créatures divines dans le domaine des hommes afin que ces derniers cessent leurs querelles. Toutefois, même les dieux n'avaient pas pu anticiper la sauvagerie et la soif de sang des démons. Les créatures divines qui avaient été placées pour maintenir l’équilibre du monde, quant à elles, refusaient de se mêler à ces conflits qu’elles jugeaient indignes de leur rang. Puis un jour, un héros inattendu fit son apparition afin de rétablir l’ordre primordial. Ses prouesses étaient à la hauteur de son ambition et de sa soif de conquêtes. Les dieux l’avaient nommé Koryu et avaient placé en lui l’âme d’un dragon : le dragon jaune à quatre pattes. Il fut ainsi le premier humain capable de recevoir l’âme d’une créature divine en lui. De cette façon, il comprenait l’importance de mettre fins à ces guerres et de repousser les démons vers d’autres contrées inhabitées. Et, il pouvait pour cela se servir du pouvoir de son dragon pour parvenir à rétablir l’ordre. À la suite de guerres, de négociations incessantes et d’alliances, le jeune dragon avait réussi à être couronné roi parmi les hommes. Des terres colossales et fertiles lui avaient été offertes entre le Yaoguai et le Shiji. Il avait donné le nom de Si Shou, les quatre créatures, à son royaume, dans l’espoir d’en faire une terre d’accueil pour les êtres exceptionnels. Les dieux, pour le récompenser, lui avaient offert une moitié d’âme. Ils l’avaient rendue parfaite en tous points pour compléter leur héros et ce fut l’erreur la plus terrible qu’ils aient pu commettre. En effet, sa moitié d’âme pouvait lire en lui et avait préféré prendre une route différente de la sienne, loin de la vie de monarque. Koryu avait été trop fier et avait refusé de la supplier de rester à ses côtés. Si elle ne voulait pas de lui, il trouverait des milliers d’autres prêtes à se jeter à ses pieds. Mais encore une fois, il avait sous-estimé le lien d’une moitié d’âme et n’avait jamais plus ressenti ce que la sienne était capable de provoquer en lui. Ainsi, il multiplia les conquêtes d’un soir sans jamais les chercher à les revoir le lendemain. Il avait un jour décidé qu’il ne s’occuperait plus que de ses sujets et que le reste n’avait plus aucune importance. Il souhaitait rassembler toutes les personnes humaines dotées de dons divins. Il pensait que par conséquent, il se sentirait moins seul. Il avait désespérément attendu la venue des quatre grands gardiens des points cardinaux. Il espérait que leur présence mettrait un terme aux conflits entre le Yaoguai, royaume peuplé de démons assoiffés de crimes et de meurtres, et du Shiji, empire dirigé par un vieil homme sage et noble. Les semaines s’étaient changées en mois, puis les mois en années. Ce roi, aimé de sa nation, restait désespérément seul. D’autres humains, capables de magie ou descendants de dieux mineurs, s’étaient joints à lui. Mais, les plus faibles d’entre eux, craignaient encore de rejoindre le Shiji tant que les gardiens ne prendraient pas leur place aux frontières du royaume pour les protéger des nations ennemies. Il chercha à prendre une épouse afin de laisser une descendance à qui transmettre son royaume, mais elle mourut rapidement. Il était ainsi encore puni pour son ambition. Sa moitié d’âme l’avait rejeté à cause de sa trop grande cruauté et il se retrouvait encore seul, car sa force dépassait le domaine des hommes. L’humaine n’avait pas pu supporter la magie qui se dégageait naturellement de lui. C’est un soir, en songe, qu’un dieu l’ayant pris en pitié lui fit la prophétie suivante : « Koryu, vénérable dragon jaune qui fut incarné dans un corps d’homme, tu deviendras père des quatre créatures. Trouve le Qilin. Soumets-le à ta volonté. Fais-en ton serviteur et obtiens ainsi la protection du roi des créatures. » Koryu s’était réveillé, avide et assoiffé d’une nouvelle rage de vivre. Il ne lui fallut que quelques lunes pour retrouver le Qilin. Étonnamment, le roi des créatures n’avait posé aucune résistance et avait accepté de le suivre. Les dragons sont connus pour garder des trésors et Koryu avait toujours pensé que les terres étaient ce que son dragon souhaitait amasser. Il n’aurait jamais imaginé à quel point il s’était si lourdement trompé. Lorsque ses yeux s’étaient posés sur le Qilin, il avait enfin compris l’objet de sa convoitise : les créatures. L’esprit possessif de son dragon avait fait rage dans son esprit et il ne désirait désormais plus qu’une chose : posséder toutes les personnes dotées de dons. * « Tu ne peux pas enfanter en utilisant des femmes normales, ô Koryu », avait calmement annoncé le Qilin. Ils s’étaient tous les deux assis, à même l’herbe d’un des grands jardins du palais que Koryu faisait pour lors bâtir. « Et pourquoi donc ? Ne suis-je donc pas un homme moi aussi ? Je saigne comme les hommes. Je ressens aussi les mêmes émotions que les hommes… », avait répondu furieusement Koryu. Le Qilin secoua la tête, puis il poussa un profond soupir. « Il te faut le ventre d’une femme d’exception, dotée de dons, pour que tu puisses engendrer une créature. Une femme d’exception pour créer le réceptacle capable de recevoir l’âme d’une créature », expliqua patiemment le Qilin. « L’idéal aurait bien sûr été que tu te comportes dignement pour ne pas faire fuir ta moitié d’âme. » Koryu se figea et lança un regard meurtrier en direction du roi des créatures : « Je t’interdis de parler d’elle devant moi, Qi. » Des caractères apparurent autour de la nuque du Qilin et il dut poser une main autour de sa gorge pour tenter d’atténuer la douleur qui lui brûlait la gorge. En acceptant de se soumettre au dragon jaune, la licorne s’était résignée à porter les chaînes qui le rendaient esclave. Koryu se rendit compte de ce qu’il venait de faire et attrapa aussitôt le Qilin par les épaules. La panique brillait dans ses yeux et le remords lui dévorait les tripes : « Pardonne-moi, Qi ! Je ne voulais pas… Je ne pensais pas que ça allait compter comme un ordre ! » Une larme dorée roula sur la joue de la licorne. Qi garda la tête baissée, choqué par la façon dont le sort qui le liait à son maître l’avait soumis. « Ce n’est rien, Koryu. Nous apprenons en même temps l’étendue du sortilège. Je respecterai ton vœu et mes mots ne chercheront plus à aborder ce sujet. » Qi se releva et tendit une main à Koryu : « Lève-toi, il est temps pour nous d’aller à la recherche de femmes capables de porter tes enfants. » Koryu fronça les sourcils puis, attrapa fermement l’avant-bras de Qi : « Des femmes ? » Qi le tira en avant, puis ils commencèrent à marcher : « Oui… Ne crois pas que t’unir à une femme exceptionnelle te donnera systématiquement un enfant doté de l’âme d’un gardien. Par les dieux, je me demande même combien mourront en couche. » Koryu cessa aussitôt de marcher. Qi, qui avait dépassé son maître, s’arrêta à son tour et tourna la tête vers lui : « Que croyais-tu donc, ô Koryu ? Une seule femme fut créée pour toi. Une seule te fut offerte par le destin. En s’unissant à toi, toi qui ne leur es pas destiné, et en tentant de mettre au monde des êtres capables de recevoir des créatures divines, l’espérance de vie de ces autres femmes s’en retrouvera forcément menacée. »