Médecine buissonnière

Les consultations médicales peuvent parfois receler bien des subtilités...

Qu’est-ce que la médecine générale ? Bien malin celui qui peut la définir, elle qui allie l’acte médical du moment, souvent vite résolu, à un compagnonnage qui se déploie dans le temps pour faire de l’apprivoisement mutuel une découverte de l’autre, une intimité fragile et sacrée qui permet d’ajuster la médecine anonyme, sèche et normée à la particularité de chacun. Toutes ces petites histoires essaient de montrer ce fil ténu entre un malade et son praticien au service d’une médecine adaptée à chacun.

Ces différentes histoires, écrites par un médecin généraliste, mettent en lumière le lien unique entre un praticien et chacun de ses malades.

EXTRAIT

— « Regardez dans sa sacoche vous verrez il a son paquet de cigarettes ! J’ai beau le lui dire, il n’en fait qu’à sa tête ! ». La maladie pour qui le temps ne comptait pas progressait et faisait de cette femme l’image de la désespérance... Comme beaucoup, elle s’obnubilait sur quelque chose de symbolique. Pour elle, le tabac représentait la seule désobéissance de son mari à sa présence totalitaire. C’était donc lui le responsable, le bouc émissaire. Je pouvais à peu près refaire le raisonnement :

« Martin j’ai peur que tu meures ce ne peut pas être de ma faute, je t’avais dit de ne plus fumer, tu ne m’as pas obéi arrête et tu ne mourras pas ».

Je ne me voyais vraiment pas arracher la sacoche de Martin.

Martin maintenant, lorsqu’il arrivait, toujours derrière sa femme, s’asseyait donc et posait ostensiblement sa sacoche devant lui en souriant. Son épouse regardait l’objet du délit avec réprobation et répulsion. Les yeux bleus de Martin soutenaient mon regard. Celui de sa femme était humide. Après le récit de madame, toujours à la première personne du pluriel, puis l’examen et l’ordonnance, dans une suite devenue classique, monsieur prenait sa sacoche après que madame se soit levée. L’entrevue était terminée.

Un jour emporté par le feu de l’action et surtout celui de la conversation que nous venions d’avoir tous les trois où il avait été question de la progression de son cancer, ils sortirent du cabinet et, avant de fermer la porte, je vis Martin revenir précipitamment dans le bureau pour saisir la précieuse sacoche qu’il avait failli oublier.

C’est à cette occasion que je remarquais enfin l’importance de l’objet et à partir de là il prit dans ma vie une place qui frisait l’obsession. Chaque consultation, le même manège, le même regard et cette sacoche toujours posée comme une interface, un écran protecteur entre Martin et moi… Qui avait-il dedans de si précieux ? Elle avait pris sensiblement au fil des mois le centre de la consultation… Je m’imaginais, lorsque j’étais en verve, des papiers, des secrets, que Martin ne voulait pas montrer et qu’il préférait par devers lui plutôt que de risquer de les voir consultés par sa femme. Un passé ? Un présent insoutenable ? Des titres ? De l’argent ? Des maîtresses aux accouplements torrides ? Des vices cachés ? Je n’en dormais plus dévoré de curiosité. Que pouvait bien cacher Martin qui lui donnait d’oser résistance ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1950, Dominique Beau fit ses études scolaires et de médecine à la faculté de Brest. Installé dans cette même ville comme médecin généraliste de 1978 à 2014, il obtient une capacité en gérontologie en 1992 et un diplôme universitaire en soins palliatifs en 2004. Particulièrement sensibilisé à la solitude des personnes âgées, il essaie d’initier une action de mise en place d’oiseaux apprivoisés au domicile des personnes souffrant de solitude.